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Suivre le fil avec Béatrice Dubreuil

18 December 2025
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Marie-Charles Pelletier
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Béatrice Dubreuil et Alina Herta
Créateur.rice.s

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December 18, 2025

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Marie-Charles Pelletier

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Béatrice Dubreuil et Alina Herta

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December 18, 2025

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Marie-Charles Pelletier

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Béatrice Dubreuil et Alina Herta

Designer graphique de formation, tisserande et artiste multidisciplinaire, Béatrice Dubreuil bâtit une pratique où les gestes manuels, la proximité avec le territoire et le respect du vivant forment une même trame. « Le fil conducteur entre tous mes projets est l’envie de créer de mes mains et la curiosité d’essayer des choses nouvelles », explique-t-elle. Inspirée par l’univers pastoral, les animaux, la teinture naturelle, elle puise dans ce qui se présente à elle : une lumière singulière, une texture distincte, un son qui l’émeut, une matière qui évolue. Sa pratique s’est construite autour d’une attention au minuscule et a été façonnée par une enfance où la création faisait partie du quotidien.

Créer de ses mains

« J’ai grandi dans un environnement très créatif. Ma mère est costumière pour les métiers de la scène et peintre, donc j’ai été en contact très jeune avec plusieurs médiums artistiques », raconte Béatrice. Dans l’atelier aménagé à même la maison, sa mère lui apprend à coudre, à utiliser la machine, à tricoter et à dessiner. Surtout, elle lui transmet le désir de se servir de ses mains pour créer.  Plus tard, Béatrice suit un cours de photographie argentique (avant que l’école ne passe au monde digital) et solidifie son intérêt pour l’art visuel. Cette curiosité la conduit naturellement vers des études en graphisme. Aujourd’hui, elle partage son temps entre son emploi de designer graphique à temps plein, quelques projets à la pige et sa pratique artistique. « Ça fait beaucoup! », concède-t-elle en riant.

Retrouver le troupeau

Cette sensibilité à la matière et au vivant prend d’autant plus de sens quand, en 2021, elle répond à un appel de bénévolat improbable, mais qui semble aller de soi : devenir bergère à Montréal. Chaque été, elle consacre dorénavant quelques heures par semaine à un troupeau de moutons grâce à l’organisme Biquette, qui vise à réduire l’utilisation des tondeuses par l'éco-pâturage à Montréal. Les bêtes laineuses broutent au parc Armand-Bombardier de mai à juin, puis au parc Maisonneuve de juillet à octobre. Elle les accompagne sous le soleil ou la pluie, apprend à les connaître individuellement et transforme, plus tard, leur toison en œuvres.

« Le fait d’être en contact avec les animaux, de les connaître et de pouvoir travailler avec leur laine est un privilège! Cette année, j’ai récupéré la toison d’une brebis qui s'appelle Jeanne-d’Arc; l’année précédente, c’était celle de Blanche », indique-t-elle.

Cultiver la couleur et la matière

L’envie de cultiver des plantes tinctoriales, quant à elle, est née après qu’elle a pris conscience de l’impact des fibres synthétiques, malgré l’attrait de leurs couleurs. « J’ai toujours aimé le jardinage pour le plaisir de prendre soin des plantes. La teinture végétale s’est imposée tout naturellement. J’avais envie d’être en contact avec les matières premières et suivre l’origine des couleurs », explique l’artiste. Béatrice a suivi des formations avec Couleurs locales et habi habi au Québec, en plus d’un atelier de shibori au centre awonoyoh au Japon — qui produit son propre sukumo (indigo fermenté) de façon traditionnelle. Elle se met ensuite à cultiver l’indigo sur son balcon, puis, grâce au jardin communautaire de sa tante, elle élargi sa palette : le cosmos sulfureux pour du orange, la tagète pour du jaune, la scabieuse noire pour du violet, la garance pour du rouge, et la renouée des teinturiers (indigo) pour du bleu. « Je pense que de pouvoir cultiver mes propres couleurs donne un sens plus profond au processus », admet-elle. Dans sa démarche, la matière compte autant que la forme. La provenance des matériaux et la trace de son geste témoignent du soin qu’elle consacre à chaque étape. « Chaque pièce que je teins ou file renferme une histoire qui dépasse l’objet — une histoire de territoire, de gestes et de relations », confie-t-elle. Cette manière de penser le geste créatif trouve un écho chez Élisabeth Cardin, qui rappelle dans La mémoire des matériaux qu’un objet réalisé à partir de fibres naturelles et selon des techniques enracinées dans un territoire témoigne de l’identité et des coutumes d’un peuple, et dégage une profondeur et une authenticité particulières.

S’ancrer dans le lieu

Dans le cadre de sa résidence à BESIDE Habitat, Béatrice a investi le chalet avec un ensemble de laines teintes naturellement et l’envie d'expérimenter le feutrage à l’eau et au savon. Le lieu a agi comme un véritable catalyseur de sa pratique artistique et plusieurs pièces sont nées de ce bref passage en forêt, chacune inspirée par les couleurs du feuillage ou des lichens qui bordent les sentiers. L’une des pièces qu’elle a réalisée représente une sonnaille de mouton, une cloche dont la forme peut varier et qui permet d’identifier les troupeaux ou encore à un agneau de reconnaître sa mère. Une autre pièce, un touski de laine feutrée, incorpore les rebuts des autres œuvres et incarne sa philosophie : rien ne se perd, tout se transforme immanquablement.

En parallèle de la pratique, l’artiste multidisciplinaire anime des ateliers de tissage et de raccommodage; un espace d’apprentissage, mais aussi de rencontre. « J’ai l’impression que beaucoup de personnes ont envie de faire des choses de leurs mains », observe-t-elle. Ces ateliers permettent de briser l’isolement d’une pratique souvent solitaire et offrent, dit-elle, « un moment créatif avec des personnes curieuses qui ont envie d’apprendre ».

Découvrez son travail ici: @bea.tisse

Marie-Charles Pelletier
Rédactrice
Originaire de Montréal, Marie Charles Pelletier est une productrice et rédactrice créative qui se distingue par sa profonde sensibilité à l’expérience humaine et à la beauté des scènes ordinaires.
NOUVEAU MAGAZINE nº17

ÉPHÉMÈRE

Dans ce numéro, nous explorons l’art de l’instant, la mort, la nature, les relations qui se fanent ou se transforment. À travers des récits où l’impermanence et la précarité du vivant se révèlent, nous réfléchissons à la manière dont nous vivons, créons et nous engageons dans un monde en perpétuelle mouvance.
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