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« Il est où, ton Skidoo ?»

06 October 2025
Texte  
Guillaume Rivest
Photo  
Dominic McGraw
Hors-piste

« Il est où, ton Skidoo ?»

October 6, 2025

Texte

Guillaume Rivest

Photo

Dominic McGraw

Hors-piste

« Il est où, ton Skidoo ?»

October 6, 2025

Texte

Guillaume Rivest

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Dominic McGraw

Lorsqu’il s’est donné le défi de parcourir Rouyn-Noranda—Montréal en ski, le journaliste Guillaume Rivest était loin de se douter que son obstacle principal en serait un d’accès au territoire et de mobilité.

Je marche sur le bord de la 117 dans un état quasi méditatif. Alors que je me trouve à quelque 100 km du village le plus proche, une voiture klaxonne, me faisant sursauter. Cette route n’est pas conçue pour les piétons, me signifie-t-on agressivement (je l’avais constaté, merci quand même pour le rappel). Le sel de déglaçage, le sable et la neige qui virevoltent dans son sillage me forcent à détourner le regard. Je suis mouillé, sale et, honnêtement, un peu fâché. Si je suis ici, c’est parce que je cherche à éviter le sentier fédéré de motoneige qui longe la route. Je respire par le nez — encore quelques centaines de kilomètres et tout sera terminé.

Durant l’hiver 2022, je me suis lancé un défi relativement simple à mes yeux : celui de parcourir, en ski, les 680 km qui séparaient mon logis abitibien de la maison de Radio-Canada, à Montréal, où je devais livrer une chronique. Je voulais aller à la découverte de cet immense territoire que nous proclamons nôtre, mais que nous connaissons si mal. 

Assis dans le confort de mon salon, j’ai donc commencé à dresser une liste des enjeux possibles pour cette expédition. Logistique, nourriture, préparation physique, équipement : rien de très stressant, j’avais l’habitude de gérer tout ça. J’ai ensuite dessiné des itinéraires en tenant compte de trois contraintes : arriver à destination avant que la neige soit complètement fondue, printemps oblige; garder mes skis dans mes pieds autant que possible; et éviter les bords de routes utilisées par les voitures. Si le trajet a d’abord pris forme sans problème, j’ai été stupéfait de constater que concrètement, tous les chemins forestiers qui quittaient la région devenaient des sentiers fédérés de motoneige l’hiver. Légalement, il est interdit de s’y trouver autrement qu’en véhicule hors route (VHR). Je n’étais pas au bout de mes peines : j’ai aussi appris que plus de 100 km de sentiers sur le P’tit-Train-du-Nord, ce vieux chemin de fer recyclé en piste cyclable, étaient réservés aux VHR durant la saison froide. Curieux de savoir si des exceptions existaient, j’ai passé quelques appels. 

Résultat : non seulement mon projet ne suscitait pas l’intérêt, mais on m’a sévèrement menacé d’une amende. On m’a assuré qu’on surveillerait mon passage. Même le départ depuis Rouyn-Noranda devait absolument se faire sur le lac, la piste cyclable qui traverse la ville étant réservée aux motoneigistes l’hiver. Encore une fois, impossible — illégal ! — d’y skier.

Forcé de redessiner mon itinéraire, j’ai entrevu une nouvelle possibilité : l’un des sentiers de motoneige quittant la région serait fermé pour la saison froide en raison de travaux. J’aurais donc le droit de l’utiliser pour me rendre jusqu’à la porte des Hautes-Laurentides. Pour la suite, j’allais être obligé de me tricoter un trajet entre les bords de routes et les chemins forestiers abandonnés ou privés jusqu’à Mont-Tremblant. Et tant pis pour la contrainte no 3.

Le paradoxe m’a frappé de plein fouet. Vraiment, on trouvait plus sécuritaire de me faire emprunter des routes de gravier où des camions remplis de tonnes de bois me frôleraient plusieurs fois l’heure ? J’aurais le droit de longer la 117, l’une des voies les plus achalandées du Québec, mais il me serait interdit de skier sur un chemin forestier secondaire fréquenté par des motoneigistes en vacances ? Sans compter que, pour me rendre à Montréal, je devrais ajouter 100 km à mon itinéraire afin d’éviter ce qui, à la base, est une piste cyclable… Je maudissais secrètement la personne qui avait choisi d’évacuer la notion de partage des infrastructures publiques. Et je la maudirais encore, quelques semaines plus tard, alors qu’une voiture m’arroserait de sel et de sable toutes les dix minutes.

Bien sûr, on ne tracera pas de pistes de ski à travers la réserve faunique La Vérendrye pour qu’un être humain la traverse tous les 30 ans. Mais comment concevoir qu’une piste cyclable soit inaccessible pour le transport actif près de six mois par année ? En comparaison, la ville norvégienne d’Oslo — et les forêts qui l’entourent — compte plus de 2 600 km de tracé pour le ski. J’ai de la misère à croire qu’on ne trouverait pas d’adeptes du sport intéressé·e·s à parcourir les 200 km du P’tit-Train-du-Nord séparant Saint-Jérôme de Mont-Laurier. 

Ce qui nous ramène à cet éternel débat : est-ce l’absence d’infrastructures consacrées au transport actif qui rebute les gens, ou bien la demande à peu près inexistante qui engendre l’absence d’infrastructures ? Dans la ville d’Oulu, au nord de la Finlande, le climat moyen est plus froid qu’à Montréal. Pourtant, durant l’hiver, 12% de tous les déplacements se font à vélo. Plus encore, 30% des enfants de moins de 12 ans utilisent une bicyclette pour se mouvoir à l’année. Ce que les études nous révèlent, c’est que la présence d’infrastructures adaptées explique grandement la popularité du vélo dans la ville. Il faut le dire, les pistes cyclables y sont déneigées bien avant les routes. Là-bas, l’automobile est un bien de luxe.

Au Québec, je suis l’exception plutôt que la règle. Rencontré dans la réserve faunique La Vérendrye, un camionneur forestier a résumé ainsi le sentiment général à mon égard : « Il est où, ton Skidoo ? » Tout est évidemment une question de perspective et de culture — le Québec n’est pas la Finlande. Je sais aussi que l’industrie de la motoneige a des retombées économiques capitales pour le secteur touristique. Quand même, serait-il possible d’imaginer un monde plus inclusif ? Un monde où certains tronçons de sentiers seraient partagés entre motoneigistes et skieur·euse·s l’hiver, entre VTT et vélo l’été ? Un monde qui s’inspirerait du modèle scandinave, et qui encouragerait les déplacements lents, contemplatifs, essentiellement non motorisés ? 

Cette expédition aura changé à tout jamais ma perspective de ce territoire que j’ai fréquenté si souvent en voiture. Pendant 26 jours, j’aurai parcouru 680 km à une vitesse de 5 km/h. J’aurai vu d’incroyables couchers de soleil, affronté une martre d’Amérique pour sauver une brique de fromage, observé le givre du verglas refléter les couleurs de l’aube dans un spectacle féérique. Quand je suis parti, je savais que mon trajet n’était pas adapté au ski. Au fond, choisir de s’exposer à l’inconfort est un luxe extraordinaire, que je me suis offert pour entrer en relation avec mon territoire. Nous considérons nos grands espaces avec tellement de fierté; or, nous les explorons trop souvent avec des moyens de transport qui nous coupent de leurs sons, de leurs odeurs. Qui bougent trop vite pour nous permettre de les apprécier dans toute leur subtilité. Je suis certain que si nous changions notre façon de parcourir le territoire, nous changerions aussi notre façon de l’aimer. Pour le mieux.

Guillaume Rivest
Guillaume Rivest is a reporter and independent journalist originally from Abitibi- Témiscamingue. He holds a BA in applied political science and a master’s in environmental studies, and is passionate about nature and the outdoors. Guillaume contributes regularly to Moteur de recherche on Ici Radio-Canada Première. He also works as a professional outdoor guide.
NOUVEAU MAGAZINE nº17

ÉPHÉMÈRE

Dans ce numéro, nous explorons l’art de l’instant, la mort, la nature, les relations qui se fanent ou se transforment. À travers des récits où l’impermanence et la précarité du vivant se révèlent, nous réfléchissons à la manière dont nous vivons, créons et nous engageons dans un monde en perpétuelle mouvance.
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