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Trouver son erre d'aller

10 September 2025
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BAUMIER
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Alex Dozois et Melissa Gamache
Atelier

Trouver son erre d'aller

September 10, 2025

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Alex Dozois et Melissa Gamache

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September 10, 2025

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BAUMIER

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Alex Dozois et Melissa Gamache

Chez Baumier, le vélo de demain prend forme un tour de roue à la fois.

Il y a des parcours qu’on trace à force de volonté, et d’autres qui se révèlent avec le temps, au fil des détours et des kilomètres avalés. Pour Benjamin du Haÿs, fondateur de Baumier, c’est quelque part entre la ligne droite et les chemins de traverse qu’il a découvert ce qu’il voulait vraiment bâtir. Entrepreneur visionnaire à l’origine de Mobeewave— à qui on doit la technologie derrière les paiements sans contact sur téléphone mobile comme Tap to Pay d’Apple Pay—il a longtemps gravité dans les hautes sphères de la tech et de Silicon Valley. Mais c’est au contact du réel—de la nature, du sport, de ses enfants—qu’il a su ralentir et commencer à imaginer une entreprise qui ferait les choses autrement.

Baumier est en mission vers un vélo toujours plus durable. Une étape à la fois. Pour y arriver, les roues—et éventuellement les vélos—sont conçues et fabriquées à Montréal, en misant sur l’intelligence collective et l’ambition de traverser le temps, la distance et les générations.

Originaires de Caen en Normandie, Benjamin et sa conjointe, Élodie, immigrent au Québec en 2007. Le couple s’enracine et donne naissance à trois filles dans ce pays de grands contrastes dont, de toute évidence, il ne se tanne pas. « La première chose que j’ai achetée en arrivant à Montréal, c’est un vélo. Je n’avais pas de voiture. Avec lui, j’ai découvert la beauté de l’hiver. J’ai apprivoisé les extrêmes, les saisons et les records de neige. »

Pour l’entrepreneur qui a consacré 20 années de sa vie à l’aviron et au ski de fond, le sport est un socle qui, en plus de l’ancrer, lui a enseigné la résilience, la discipline, la précision. Au fil des années, des projets et des migrations, le vélo est demeuré en filigrane.

« Le vélo a été la grande constante de toute ma vie. Je fais du vélo depuis que je suis gamin. C’est, à mon sens, le meilleur outil inventé par l’humanité pour se déplacer. »

Benjamin du Haÿs à l'atelier de BAUMIER, Montréal.

Rembarquer la chaine

Après la vente de Mobeewave à Apple, la fatigue et le sentiment de déconnexion l’ont mené vers une remise en question plus profonde. « Je passais mes journées derrière un écran, à dire à mes enfants d’éviter les écrans. » Ce constat a marqué un tournant. Puis, un besoin viscéral de revenir à l’essentiel, au tangible, à la réalité locale. « Je voulais une entreprise qui soit au service de l’humain. J’avais aussi envie de montrer à mes enfants un modèle entrepreneurial différent—plus aligné, plus cohérent. »

C’est de cette prémisse qu’est né Baumier. Non pas comme une simple marque de vélos, mais comme un projet à échelle humaine et aux valeurs universelles. Un objet porteur de sens qui nous ramène à la matière, à l’effort, à la nature. Parce que, pour Benjamin, les entreprises ont un rôle fondamental à jouer dans la transformation de nos sociétés. Chez Baumier, deux piliers guident chaque décision : l’humain et l’environnement. Concevoir un vélo qui respecte ces engagements, c’est repenser toute la chaine—depuis la production locale jusqu’à la responsabilité du cycle de vie complet du produit. À contrecourant d’une industrie mondialisée et rapide, Baumier choisit la patience, la proximité et la durabilité.

Faire moins, faire mieux

Dans l’atelier de Baumier, les portes de garage sont ouvertes sur une ruelle tranquille, les quatre modèles de roues, accrochés au mur. Près d’un établi, Mathieu Rude—responsable du développement mécanique—et Cristiana Dumitrascu—stagiaire de fin d’études à l’ÉTS—profitent de la lumière naturelle pour observer une jante fraichement sortie du moule. Pendant 30 minutes, elle et lui la tournent, la retournent et l’analysent sous tous ses angles. C’est qu’ici, rien n’est laissé au hasard. Chaque roue est le résultat d’un processus méticuleux.

Pas de chaine de montage. Pas de cadence imposée. Pas de gaspillage. Chaque gramme de fibre est optimisé; chaque copeau de résine, récupéré. Pour les quatre modèles de roues que l’équipe a développés, le carbone est tressé à sec, sans perte. Les composants sont choisis avec le même soin: rayons en corde ou en titane, corps de cassette en titane. Quant aux jantes en carbone, elles sont fabriquées, puis montées ici.

« Nos roues flagship, les RT40, sont conçues pour absorber les vibrations, explique Benjamin. Elles allient légèreté, efficacité et durabilité. C’est l’antithèse de l’obsolescence programmée. »

Sur le mur est, un prototype de cadre est suspendu. C’est le prochain grand défi. Mathieu y consacre désormais tout son temps: concevoir un cadre local, durable et pérenne, à partir de fibre sèche, de raccords en titane imprimés en 3D, et le moins de pertes possible. Il est attendu pour 2026.

Chez Baumier, tout est pensé pour durer. Pour faire mieux, avec moins. Pour prouver qu’un autre modèle de production est non seulement possible, mais souhaitable.

Ralentir pour mieux avancer

Au-delà d’un moyen de transport, le projet Baumier est une invitation. À ralentir. À prendre la route scénique. À redécouvrir son corps, son environnement, sa ville. Et à accepter de ralentir la production. Dans une industrie qui valorise la nouveauté à tout prix, et où l’innovation rime trop souvent avec obsolescence, Baumier fait le pari du long terme. 

« On réfléchit à des cycles de vie qui sont beaucoup plus longs que ceux du reste de l’industrie. Alors que la plupart des marques renouvèlent leurs modèles chaque année, on veut pouvoir utiliser les mêmes moules pendant cinq à dix ans », précise Benjamin.

L’ambition de Baumier est de créer un vélo écoresponsable, léger et ergonomique, pensé pour engager le corps avec justesse, capable d’atteindre 20km/h avec une simple poussée—une mécanique simple, sans détails superflus. Juste de la pure mécanique, performante et durable. Chaque vélo incarnera le savoir-faire d’une équipe, une qualité d’assemblage à partir de matériaux choisis pour durer, et une responsabilité assumée pour chaque étape de son existence—de la fabrication à la fin de vie. Mais ce choix a un cout. Celui du petit volume, du respect des horaires, de la famille, du sport, de la planète. Tout ça, au nom d’une cohérence profonde. Et d’une croissance organique, maitrisée.

L’objectif, finalement, n’est pas de produire un vélo de plus, mais le seul dont on ait vraiment besoin.

Repenser le cadre

À la base de Baumier, il y a le modèle Opale, tiré du livre Reinventing Organizations de Frédéric Laloux. Une organisation sans hiérarchie rigide, où les décisions se prennent par sollicitation d’avis, en misant sur l’intelligence collective plutôt que sur le pouvoir individuel. À l’inverse du fordisme, où chaque personne est le maillon d’une grande chaine interchangeable, ce modèle est plutôt calqué sur la nature, la complexité d’un écosystème et les forces inhérentes à chaque individu pour créer une entreprise vivante, attentive à ses cycles et à ses saisons.

Baumier compte aujourd’hui un noyau dur fait de dix personnes, impliquées à chaque étape. Dans l’atelier, aucun rôle n’est figé. L’équipe est animée par une vision commune: celle de créer un objet qui résonne avec son environnement et qui porte en lui un message.

« Voir les yeux de l’équipe briller le matin, quand on démoule une roue et qu’on la voit dans la lumière, me donne la conviction qu’on avance dans la bonne direction », souligne Benjamin.

Paver la route

Celles et ceux qui se déplacent à vélo le savent: le simple fait de pédaler permet de vivre le territoire autrement, d’accéder à des lieux où, à priori, on ne se rendrait jamais, mais aussi à des moments de plénitude. Le soir, après le souper, quand la nuit est belle, Benjamin fait le tour du circuit Gilles-Villeneuve, puis empreinte l’estacade. Juste pour rouler au milieu du fleuve et observer la ville au loin. 

« À vélo, mon cerveau s'apaise, les idées circulent, les problèmes se résorbent d’eux-mêmes », confie-t-il. Peut-on lui en vouloir?

Pour lui, le vélo n’est pas un accessoire qui trône dans un garage. C’est un compagnon du quotidien, un prolongement tangible de nos valeurs, qui invite à repenser notre rapport au monde. Baumier propose des vélos qui vont vite, mais, surtout, qui font du millage. Fabriquer moins, mais mieux. Et peut-être, ensemble, trouver notre erre d’aller.

BAUMIER
BAUMIER est une marque québécoise fondée à Montréal, qui conçoit, fabrique et assemble des roues de route et de gravelle haut de gamme. À contrecourant de l’obsolescence programmée, elle propose des produits pensés pour durer toute une vie, mais surtout un modèle d’entreprise plus humain et plus transparent, fondé sur la durabilité, la collaboration, le respect.
NOUVEAU MAGAZINE nº16

RÉSILIENCE

Et si la résilience était une manière d’habiter le monde autrement? Notre prochain numéro s’attarde à cette force douce et tenace : celle de se relever, de réimaginer, de recommencer. À travers des récits intimes et collectifs, nous explorerons les façons dont humains, communautés et écosystèmes traversent l’épreuve pour retrouver un nouvel équilibre.
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